« Ressentir les plantes par le cœur » : rencontre avec Yann, un jardinier zen

À Raiatea, dans l’archipel des Îles-sous-le-Vent, le mont Te Mēhani (1017 m) attire aussi bien les marcheurs du dimanche que les botanistes patentés. C’est au cours d’une sympathique randonnée de 6 heures que l’équipage d’Azyu rencontre Yann, un Breton original de 35 ans merveilleusement adapté au territoire polynésien.

Passé le vallon forestier et sa rivière, nous nous lançons à l’assaut des pentes vers le plateau trachytique ´ute ´ute. Ce dernier abrite une biodiversité exceptionnelle, dont la célèbre Tiare Apetahi, fleur blanche endémique de Raiatea. Tout en progressant parmi les buissons de fougères, les pandanus ou les goyaviers de Chine, Yann s’enthousiasme, comme moi, de la beauté de la végétation qu’il connaît par ailleurs très bien : « tiens, des orchidées violettes qui poussent directement au sol. Oh ! les minuscules fleurs de la verveine sauvage, elles ont un goût de champignon ! » Mais quand je l’interroge sur les noms des espèces, il me répond d’un air candide : « je ne sais pas, j’approche les plantes par le cœur ». Pourtant, il paraît qu’il est paysagiste-permaculteur.

Du haut de Te Mehani

Au sommet, quelle beauté !

Enfin, l’ascension nous mène à 700 m d’altitude, devant une jolie cascade et une vue spectaculaire du lagon. Coline et Erell sont si fatiguées qu’elles n’ont plus le courage de râler.

Yann se débarrasse de son tee-shirt et de son short et se met en position yogi dans la vasque, une couronne de feuilles sur la tête. Mais d’où tu sors toi ?

Un jeune roader

Originaire de Telgruc-sur-Mer, dans le Finistère, Yann décide, à 18 ans, de se former à la charpenterie navale bois au Bassin d’Arcachon. Malgré un vif intérêt, il plaque ses études à l’issue de la première année et part sur les routes en camion. « Je voulais apprendre plusieurs métiers et découvrir le monde », se rappelle-t-il. Pendant 5 ans, il voyage dans le sud-est de la France, en Espagne, au Portugal, et se spécialise dans les travaux en hauteur sur corde.

L’appel du large

À 24 ans, un ami skipper lui propose un demi tour du monde à la voile. Sans hésitation et sans plus d’expérience que des saisons au club nautique de son village natal, il embarque sur le Drizar. Après avoir préparé ce monocoque de 21 m en aluminium, a priori taillé pour la compétition, l’équipage prend la mer depuis Nantes. Le skipper et 5 équipiers vaillants mais novices partent pour 4 mois inoubliables à destination de Tahiti : « L’Atlantique et le Pacifique, on les a traversés en pleines saisons cycloniques ; d’ailleurs, on a évité de justesse un cyclone au Cap Vert », se souvient Yann.

Madère, Canaries, Cap Vert, Trinidad, Panama, Galápagos, Marquises…, la navigation est tout sauf un long fleuve tranquille car le bateau part en « distribil » (en lambeaux en breton) : « Le groupe électrogène est mort pile au moment du départ alors le peu d’électricité ne servait, pour ainsi dire, qu’à s’éclairer. Donc pas de guindeau électrique. Il fallait remonter l’ancre de 70 kg à la main ! Quand on est arrivé à Tahiti, le moteur s’est mis à fumer et nous a lâchés dans l’entrée du port de Papeete devant les yeux du propriétaire sur le quai. De panique, il a sauté à l’eau ! », témoigne le jeune marin, le regard pétillant.

En dépit de ces sueurs froides, ce voyage reste un magnifique souvenir : dauphins, baleines, plancton phosphorescent… la nature sauvage l’émerveille.

L’appel exotique

Devant l’arrivée rocambolesque du Drizar, le propriétaire furieux ne paye aucun des billets d’avion prévus. Pas grave, Yann n’avait pas envisagé de retour en France. Il s’installe à Tahiti et multiplie les boulots dans le bâtiment, la charpente, le grattage des coques de bateaux, soit une douzaine de métiers. « J’ai même fait vendeur de sushis ! »

Faire pousser une bambouseraie trotte aussi dans la tête de Yann.

L’appel vers la paix intérieure

Après ce long trajet maritime, le jeune homme entreprend un cheminement intérieur. Cet écorché vif, orphelin de père et mal aimé des siens, dépose en Polynésie sa rancœur contre la société en même temps que son baluchon.« Ici, la chaleur humaine, la bienveillance, l’amitié ont facilité ma quête spirituelle », accorde-t-il. Changement de look, changement de posture, fin du piercing, des dreadlocks. «  Vouloir sauver le monde quand, soi-même, on ne va pas bien, c’est prendre les choses à l’envers. »

Il découvre alors qu’une énergie existe en lui et se tourne vers les médecines simples. « J’ai développé un chemin d’introspection et je me suis soigné en rencontrant beaucoup de gens singuliers. Durant cette époque, j’essayais de comprendre mon inconfort, de calmer mon mental. J’ai réalisé que les biens matériels et mon travail, notamment de cordiste, ne me procuraient qu’un bien-être instable. Être suspendu à une centaine de mètres dans le bruit assourdissant des moteurs à respirer des gaz d’échappement pour resserrer les boulots d’une centrale électrique, ça passait à 20 ans. Mais, à 30 ans, j’ai pris conscience que ces conditions extrêmes brutalisaient mon corps. Je voulais un métier qui me fasse du bien. »

L’appel de la forêt

Après un détour par la Nouvelle Calédonie et le Brésil, il revient avec femme et enfant en Polynésie française et s’installe sur l’île de Raiatea. Désormais obsédé par la nature, cet autodidacte se lance dans le paysagisme et le jardinage sous l’aune de la permaculture. « Je propose aux particulier de planter un jardin vivrier et je leur donne les astuces pour qu’ils s’en occupent eux-mêmes avec succès et plaisir. L’objectif de la permaculture, c’est que tous nos gestes soient fertiles. »

L’espace vivrier devant la maison collective.

Pourtant en milieu tropical, le maraîchage est réputé difficile. Il n’y a qu’à voir les étiquettes des tomates, poivrons, aubergines dans les magasins : origine France, Espagne, États-Unis…

« C’est parce qu’on veut aller trop vite », rétorque Yann. « L’agriculture ici, c’est super facile ! Tous les mois, c’est l’été, tout pousse en permanence. » Son secret ? Commencer par « cultiver » le sol afin que champignons et bactéries se développent, en recréant les différentes strates de la forêt, de l’humus à l’arbre. « J’apporte des algues, du sable corallien et du sable basaltique à portée de main, des éléments directement assimilables par les plantes. Quand je suis satisfait de la vitalité, je plante fleurs et feuilles comestibles ainsi que des aromates et, plus tard, après beaucoup d’observation, des légumes. »

Locaterre de Te Mēhani

Aujourd’hui, Yann vit sur les flancs de Te Mēhani, sur un site sauvage de 4 hectares qu’il aménage patiemment. Les propriétaires, deux couples qui y passent vacances et week-ends, lui en ont confié les clés. Forêt, chemins, cascades, bassins d’eau, terrasse naturelle surplombant le lagon et bien sûr quantité de fleurs, d’îlots potagers, d’espèces locales comestibles font du lieu un endroit ressourçant.

Soin du corps à l’argile parmi les alpinia (fleurs rouges)

Yann y a planté sa tente ouverte sur l’extérieur en attendant l’édification prochaine d’un tipi de 5m50 de hauteur et 4m de diamètre (trépied de bambous et grand-voile de bateau) et, plus tard, la construction d’une maison en terre sèche. Quelques jours plus tard, Jean-Marie, les filles et moi-même passons la journée en sa compagnie, avec son petit garçon, avec les copains qui vont, qui viennent, caressant les chiens, buvant une tisane romarin-citronnelle, discutant de tout ou de rien. 

Le tipi… presque fini !

On est bien

Aujourd’hui, il n’y a plus de bad-boy mais un homme bien fait, souriant, extraordinairement ouvert aux autres et sensuellement relié à la nature. « J’ai fini cette recherche spirituelle ; maintenant, j’observe simplement mes états émotionnels. J’appelle cela le silence. »

À ses côtés, on retrouve le calme et la joie, exactement comme lors d’une promenade en montagne.

Quelques photos de la rando

Jean-Marie, Coline et Erell au pied de la cascade qui se jette quelques centaines de mètres plus bas… Faut pas riper….

Maya,notre Polonaise préférée, en pleine ascension

Allez Harry !

Magnifiques variétés de plantes.

Notre groupe de bateaux-copains.