Sur l’île de Tahuata, aux Marquises, le village d’Hapatoni à ce Je ne sais quoi de différent qui en fait l’escale favorite de nombre de voyageurs.
Au fond du minuscule port où se retrouvent mamans et enfants pour le bain et la blague, une cabane au toit de palme, légèrement en retrait, dissimule des regards indiscrets les mordus de bingo (loto) ou de poker. Croquant à pleine dents une mangue juteuse tout juste arrachée de l’arbre, la pétulante Hinano, 10 ans, entraîne Coline et Erell à la baignade ; nos deux filles sautent du quai tout habillées en short et tee-shirt, à la Polynésienne donc ! Puis, la dizaine de gamins du village lance un cache-cache entre les pirogues motorisées, la bleue, la jaune, la rouge, ou dans les branches épineuses du bougainvillier violet.
Ici, l’Abri du marin est bleu
Tehina, la soixantaine rondelette cintrée dans l’un de ses ravissants paréos fleuris, cueille à pleines brassées des boutons de tiare pour fabriquer « les couronnes de tête de Pentecôte ». Je l’embrasse et la raccompagne chez elle, à la « maison bleue » qui fait office d’Abri du marin.
Depuis 2014, elle accueille tous les voileux de la baie, offrant gratuitement sa connexion internet, une citronnade et, bien souvent, le couvert. Combien de fois sommes-nous allés simplement la saluer et avons-nous été invités à partager son repas ! Et il en va ainsi avec tous les vagabonds des mers pour peu qu’ils se présentent à elle. Tehina incarne l’accueil de l’étranger, une hospitalité extraordinaire devenue la marque de fabrique d’Hapatoni.

Tehina à droite, sa sœur Léone à gauche et leur amie voileuse Nicole.
Durant le confinement, de mars à mai 2020, 9 voiliers sont demeurés ancrés près du village avec interdiction formelle de poser un pied à terre pendant de longues semaines. Très régulièrement, ils ont tous reçu des habitants de pleins sacs de fruits. Des habitants à qui ils confiaient la liste de leurs courses, leurs cartes bancaires et le code secret (!) afin d’être ravitaillés ! Où existe-t-il pareille confiance ailleurs dans le monde ?

Michel, le fringant capitaine de John L’Enfer, agréablement confiné à Hapatoni.
Tous voisins, tous « famille »
La centaine d’habitants vit serrée entre le front de mer et la montagne accore. Pas de vallée profonde ici. Tout en étant proches les unes des autres, les maisons disposent d’intimité grâce aux paravents que constituent haies, buissons, plantations, arbres aménagés en un luxurieux labyrinthe. Le voisin est toujours un frère, un oncle, un gendre, un cousin…
Un peu plus haut, une route en partie goudronnée amène par dessus la pointe rocheuse à l’autre village, Vaitahue. Mais, à Hapatoni, ils ne sont qu’une poignée à posséder une voiture. « Une pirogue, c’est beaucoup plus utile et moins cher, assure Jules. Au lieu d’aller dépenser au magasin, tu pêches ! ». Partout où le regard s’accroche, l’image apparaît bucolique : Hélène file la bourre de coco pour fabriquer des cordelettes ; Jules chasse la poule sauvage avec son coq plus ou moins dressé ; celui-ci baigne son cheval dans la mer ; cet autre ramène de belles langoustes ; plusieurs femmes chantonnent en disposant les noni sur les plateaux pour qu’ils mûrissent ; ceux-là encore sculptent tikis, plats, lances, piques à cheveux…

La récolte de nonis.
Casse-tête ou tord-cou ?
Tiens ! Voilà Jules occupé à tailler un casse-tête. Non, ce n’est pas un jeu de patience mais un gourdin utilisé jadis pour « casser la tête » aux ennemis en leur tapant dessus. À l’instar du tord-cou, longue pièce d’1,50m se terminant en demi anneau, de la lance, du tiki (demi-dieu), il fait partie de objets couramment sculptés.

Les œuvres de Jules : tikis, fruitier, planche pour piler le uru et son pilon en pierre (« kea tuki kaku »).
Jules est sculpteur donc, comme sa femme Mirella, comme Kalino, Cyril, Marc et tant d’autres. Ils travaillent le bois, l’os, plus rarement la pierre, et d’autres matériaux étonnants : vertèbres animales, rostres d’espadon, dents de cochon, de cachalot, cornes de chèvre, bois de cerf ! On est subjugué par leur dextérité, leur imagination et la joliesse des finitions.

Jules et Mirella sont sculpteurs sur bois et os.
Les essences de tamanu et de santal
Souvent, ils s’installent le long de l’allée royale, un chemin pavé en 1850 sous le règne de Vaekehu II et dont les majestueux tamanu sont aujourd’hui plus que centenaires. Leurs noix pressées donnent une huile cosmétique verte à l’odeur de noisette (calophylle inophyle) aux multiples vertus. Un parfum qui en appelle un autre, celui du santal embaumant les versants de l’île jusqu’à la toute fin du XIXe siècle, c’est-à-dire jusqu’à l’annexion de Tahuata à la France.

L’allée royale
Maintenant, le pochon de Tehina déborde de fleurs capiteuses. Arrivée devant chez elle, je me dis : « c’est fou tout ce que l’on peut voir, entendre et ressentir en suivant un modeste chemin de quelques centaines de mètres ! »

La bonne humeur du sculpteur Kalino.
Encore merci pour ce bel article, Vive les Marquises !!!
Quelle belle aventure. C’est trop chouette de voir les filles grandir et grandir et grandir !
Pour les nouvelles d’Orphée: Les babastrip sont sur le grand départ, on a mis le bateau en vente et on quitte Moorea fin juin. C’est le moment des grands au revoir. Cette île si belle nous aura vraiment régalés. Nous nous dirigeons vers les ISLV pour une installation à terre avec d’autres voileux ! On rêve de vie dans les terres, avec un fa’a’apu ! A suivre, on cherche au bord de l’eau avec ponton pour les annexes des copains 😉
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