Chaque année, en juillet, Tahiti se met en ébullition artistique et sportive pour redonner corps et âme aux mythes fondateurs de l’identité maohi.
Initiées en 1881, les fêtes du Heiva célèbrent encore de nos jours contes et légendes des différents archipels au travers de la danse, du chant, de la musique et de l’expression en langue tahitienne. Prohibées au cours du XIXe siècle durant la colonisation française, en raison de leur caractère lascif et du veto clérical, les manifestations culturelles furent de nouveau autorisées lors de l’annexion de la Polynésie à la France. Tentative de réconciliation ou infiltration masquée ?
Un festival flamboyant
Lors de soirées spectaculaires, Papeete est le théâtre de concours pluridisciplinaires. Nous avons la chance d’assister à l’une d’entre elles. Formations de danseurs, chorales, groupes de musique et orateurs s’exposent aux feux de la rampe devant un public conquis d’avance. Surplombant la scène, le jury, composé de neuf personnalités du monde de la culture, départage les lauréats en attribuant plusieurs prix selon qu’ils sont professionnels ou amateurs. Le groupe de danse de Punaauia — qui participe pour la première fois — entre en scène : près de 130 danseurs occupent l’esplanade au rythme fou des « pahu », ces tambours plus ou moins hauts en bois tapissés jadis d’une peau de requin, aujourd’hui d’une pelisse de chèvre. Chaque groupe doit présenter 4 à 5 types de danses traditionnelles ainsi que 3 costumes (traditionnel, en tissu et 100% végétal).
Bustier en nacre et diadème forestier
Les tenues naturelles suscitent, chez nous, une admiration pleine de questions. Jupes, bustiers, parures de tête, colliers, bracelets, chevillère… tout, chez les « vahine », est fabriqué en feuillages, palmes tressées, noix de coco, fleurs, graines, coquillages, ou encore en tapa (sorte de toile rigide confectionnée avec l’écorce d’arbres). Idem pour les hommes (« tane ») qui portent, par exemple, de longues franges en fibres sur les cuisses qu’on appelle « more » (feuilles de pandanus effilochées en lanière et donnant l’impression du raffia), de majestueuses couronnes et divers ornements aux poignets. Comment tout cela est-il fixé ? Et, bien que le sol se jonche, au fur et à mesure des trépignements, d’hibiscus, tiare et frondaisons, les habits résistent incroyablement à la cadence qu’on leur impose. « C’est beaucoup de travail, témoigne la danseuse Rautini (dont le prénom signifie « grande feuille »). Nous cherchons nous-mêmes tous les éléments naturels pour recopier le modèle imaginé par notre costumier. On en passe des heures dans les chemins, en montagne, au fond des vallées… Et si l’hiver arrive un peu tôt, certaines fleurs viennent à manquer, par exemple l’oiseau du paradis. » Pour une fraîcheur éclatante, ces tenues sont confectionnées la veille de la représentation, voire le soir même, des heures durant. Et, si le groupe est sélectionné en finale, il doit refabriquer les 130 costumes…
Le plus beau déhanché
Quand s’avancent sur le devant de la scène un jeune homme, puis, une jeune femme, en simples paréos, les fans se font connaître par des cris et des encouragements qui transforment To’ ata en stade de foot. Le concours du meilleur danseur repose sur la rapidité et la souplesse dans le mouvement. A voir leurs déhanchés, j’en ai mal aux reins. Eux n’esquissent pas un seul rictus. Comme tous les danseurs, ils gardent un sourire bienheureux collé sur les lèvres.
Punaauia, Faa’a’, Heikura Nui, Tamari’i Mataiea, Teva i T’ai, les troupes se suivent 6 heures durant sans entracte. Les filles vont se dégourdir les jambes en bas des gradins ou voir la rade de Papeete illuminée par les paquebots. Pour Jean-Marie et moi-même, pas question de rater une miette du spectacle car aucune photo ni vidéo n’est autorisée. Pour cette fois, le souvenir restera vivant uniquement dans nos mémoires.