J’embarque avec Pierre sur le « poti marara » de Rolland, un pêcheur semi-professionnel de Mangareva. Il pratique la pêche traditionnelle au caillou, vrai piège des grandes profondeurs.
Le temps est beau et calme derrière l’atoll. Rolland et son épouse Agnes habitent Rikitea, sur le bord de l’eau. A plus de 70 ans, ils tiennent une pension de famille qui héberge régulièrement les négociants asiatiques en perles de culture. Et tous les matins, avant l’entrée en classe, le couple vend aux petits Mangaréviens des casse-croûtes à l’arrière de son pick-up. La sortie en mer n’est donc pas prévue à l’aurore. De jolis trophées de pêche – rostres et queues d’espadon – sont exposés dans le jardin de Rolland ; on imagine la taille des bêtes grâce à leurs appendices suspendus à l’arbre. Avec Teheri, nous embarquons le matériel nécessaire dont une glacière de glace et une autre de vieilles sardines décongelées. Après un dernier café, nous levons tranquillement le camp, 9h30 ayant sonné. A cette heure, les ligneurs de bars du raz de Sein sont déjà de retour…

Rostres d’espadon
Heureux en amour, heureux à la pêche
Roland a dessiné lui-même son bateau, long d’environ 7 m et assez étroit. Il ressemble beaucoup aux embarcations très effilées pêchant le mahimahi (daurade coryphène) et qu’on appelle ici des « poti marara ». Le pilote se trouve complètement sur la proue. Habituellement, l’engin se dirige avec un manche, Rolland, lui, est équipé d’un volant. Quatre cannes munies de leur gros moulinets sont installées sur les bordées du bateau. Le moteur de 300cv nous éloigne de Rikitea en quelques minutes après avoir slalomé entre les patates de corail. Je n’aurais même pas osé m’aventurer dans ces parages en annexe, le bougre connaît le coin. On file à 20 noeuds vers la passe ouest, l’eau est transparente, les dégradés de bleus incroyables. Passée la dernière bouée du chenal, le bateau s’arrête doucement. Rolland se retourne et lance une prière. Ici aussi, les marins sont superstitieux. La veille, Rolland nous avait prévenu de ne pas amener de bananes dans notre pique-nique, ça porte malheur. Les pêcheurs doivent également ne pas avoir de tracasseries en tête, se sentir bien dans leur couple sinon la pêche risque d’être mauvaise.
Tazard au menu
Le rituel terminé, nous repartons en laissant filer les 4 lignes de traîne à l’eau. Les leurres sont très gros, on n’est pas là pour attraper du maquereau. Au bout de quelques minutes : première touche, mais le « gros » poisson se décroche rapidement. Pour les pêcheurs, les poissons sont toujours gros quand ils les ratent !
La deuxième touche est la bonne. Une des lignes se vide rapidement, Teheri se jete sur le moulinet et commence la remontée de la proie. Pierre attrape le croc et moi la masse en bois. Rolland a une très bonne technique pour résister au très gros poisson. Au moteur, il passe rapidement derrière lui pour reprendre la ligne perdue. A la canne, le pêcheur fait en sorte de garder la ligne toujours tendue afin que l’animal ne se décroche pas.
Le poisson se rapproche, les consignes de Rolland sont claires, « vous ne le ratez pas et vous ne me l’abîmez pas ». Il faut le piquer rapidement et dans la tête car il sera vendu au snack de Rikitea. Le poisson est en effet réservé par le restaurateur avant même d’être pêché, aucun intermédiaire. C’est un gros tazard. Pierre hésite une fois avant de le piquer derrière la nageoire. J’arrive avec mon gourdin telle une brute épaisse, et ne lui laisse aucune chance. La bête est hissée à bord, elle mesure environ 2m. Immédiatement, on la place sous des couvertures avec de la glace pour qu’elle conserve toute sa fraîcheur. Puis, nous longeons le récif dans l’espoir d’en attraper un autre, mais sans succès.
La pêche au caillou
Changement de technique. Les lignes de traîne sont ramenées pour laisser place aux cailloux. On s’active à couper les sardines en morceaux dans la longueur. Ensuite, l’un d’entre nous prend une sardine entière et lui enfile un hameçon par la bouche. Arrive le fameux caillou sur lequel on dispose la sardine entière puis, dessus, des morceaux de sardine. Cette mixture est étroitement entourée par un fil de nylon. Le caillou est délicatement déposé à la surface de l’eau, il coule et les 150m de nylon se déroulent. A la fin de la bobine, on tire d’un coup sec, libérant le caillou ainsi que les appâts destinés aux poissons des profondeurs. De nos jours, les « cailloux » – perdus à chaque pêche – sont des pièces de ciment que les hommes confectionnent dans des gouttières qu’ils tronçonnent après séchage.

Le « caillou »
Repère visuel
Le bout de la ligne est raccordé à une bouée bicolore, jaune sur une moitié et rouge sur l’autre. La bouée laisse apparaître sa face jaune au dessus car un élastique l’empêche de se retourner du côté rouge. Dès qu’un poisson mort, le fil de nylon tire sur la bouée et libère l’élastique, le côté rouge apparaît. C’est le signal. Nous disposons 4 bouées à différentes hauteurs. Les emplacements correspondent à des trous à thons.
Au bout d’une heure, une bouée se retourne, on file dessus. Teheri commence à tirer sur la ligne, il a la sensaion que c’est mou, mais, d’un coup, ça tire très fort. Il a énormément de mal à remonter le 150 m de fil et mettra 5 bonnes minutes avant d’y parvenir. A sa manière de remuer et de tirer sur le fil, Teheri pense qu’il s’agit d’un requin. L’animal apparaît à la surface, c’est en fait un joli thon jaune. Même préparation, le gaffeur et le matraqueur attendent que le poisson sorte son museau. Crack et boum, le poisson d’une trentaine de kilos est projeté violemment sur le pont. Un dernier coup sur la tête pour être sûr qu’il ne bougera plus. La queue montre des marques de dents, un requin semble avoir commencé son repas. Les abats des poissons ne sont pas rejetés à la mer afin de ne pas attirer les requins. Ils seront laissés aux rémoras qui pullulent devant Rikitea.
Roland est toujours aussi incroyable ! Agnès toujours aussi douce et souriante ! On y était avant hier. ps : on a remonter un espadon ;-))) M A G I Q U E !
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