Chez les Mayas de la montagne

Semuk-09092017-IMG_0239Dans les environs de Semuc-Champey, la population guatémaltèque vit entre jungle et montagne, à l’écart de toute urbanisation. L’espace d’un après-midi, nous partageons le quotidien d’une famille q’eqchi’.

Pour rejoindre Semuc-Champey depuis le Rio Dulce, il y a 5 heures de pistes à s’enfiler. Le mini-bus vieillissant rebondit sur les cailloux, s’affaisse dans les ornières et, rapidement, plus que l’inconfort, c’est la panne que nous redoutons. Au milieu du relief escarpé, à 2 heures en voiture (mais combien d’heures à pied ?) de la prochaine bourgade. On se sent si petit, si seul dans cette nature dominatrice pas même gâchée par une antenne, un poteau électrique ou une clôture. Et pourtant, l’isolement est relatif. Toute une population vit là ; nous croisons des paysans machette au poing, des bûcherons vigoureux, des hommes lents, leur fagot de bois sur la tête, des jeunes filles rieuses débouchant d’un talus, des écoliers en uniforme, des mamans calmes sur le seuil de leur maison… La majorité des gens se déplacent à pied. Pour les plus longues distances, quelques pick-up font office de taxi. Debout à l’arrière, les Guatémaltèques y voyagent détendus malgré les secousses.

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Des amis très vite

A l’hôtel où nous sommes descendus, quelques enfants rôdent. En deux temps, trois mouvements, Coline, pieds nus, les suit dans la futaie qui sépare l’hôtel d’un hameau ; là, trois maisons en bois rassemblent une famille. Erell, Jean-Marie et moi-même nous avançons dans leur cour plantée de caféiers et de bananiers. Timidement, nous demandons si nos enfants peuvent jouer avec les leurs ; c’est parti pour un joyeux cache-cache dans le poulailler, en haut de l’oranger et tout autour des habitations. De la cuisine, la grand-mère, Anna-Conception – n’est-ce pas un prénom magnifique ? –, nous sert du café. Elle tend une tasse à Coline qui pique un fou rire. J’essaie de leur expliquer que, chez nous, les enfants ne sont pas censés en boire, la boisson étant réservée aux adultes, ce qu’ils trouvent très drôle. Fabriqué à partir des grains qu’ils torréfient et moulent eux-mêmes, leur café, très léger et sucré, ressemble davantage à un thé.

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La cuisson des tortillas

Voilà Nicolas, le grand-père, qui rentre le dos courbé, chargé d’un sac. Tandis que le vieil homme mouline les grains de maïs, l’une des deux belles-filles les transforme en farine sur une meule de pierre. Elle fait de petits tas que l’autre jeune femme aplatit à la main pour obtenir des ronds de pâte. Bethsabée m’invite à l’imiter. Je malaxe la pâte et essaie de former des tortillas aussi rondes que possible. Puis, nous les déposons sur le comal, cette plaque en terre cuite posée à même le feu, afin de les cuire quelques minutes. Pour arranger le foyer, nous soufflons sur les braises et déplaçons les bûchettes. La fumée me pique les yeux. Bien qu’il fasse encore jour dehors, la maison des anciens est plongée dans la semi-obscurité. Une ampoule inanimée pend au plafond. La lueur du jour, estompée par l’épaisse végétation alentour, ne perce qu’à travers l’unique fenêtre, l’entrée dépourvue de porte et les murs en claire-voie composés de cannes plantées verticalement.

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Le strict minimum

La maison est divisée en deux pièces, la cuisine et la chambre à coucher où sont suspendus plusieurs hamacs. Dans la cuisine en terre battue, le seul meuble, hormis une table en bois, deux étagères et deux chaises en plastique, est une armoire-vaisselier où sont rangés des torchons en tissu, des tasses en porcelaine, des assiettes en plastique, des bols fabriqués à partir de calebasses. Je ne vois pas de couvert. A quoi bon ? Le repas quotidien est constitué de tortillas nappées de sauce tomate plus ou moins relevée, ou de haricots noirs réduits en purée. Plus rarement, du riz, du poulet. Des épis de maïs bouillent sur le feu ; Anna-Conception nous en sert un à chacun.

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Q’eqchi’, breton : memestra !

Tout en mangeant, je discute avec les deux jeunes femmes de 18 et 30 ans qui semblent être les mamans des sept enfants. Outre la préparation des repas et l’entretien du foyer, elles lavent le linge de l’hôtel voisin. L’un des maris entretient le jardin de l’hôtel tandis que l’autre travaille dans la milpa. Bien qu’elle ne parle pas espagnol, la grand-mère ne perd pas une miette de nos échanges ; ses belles-filles lui traduisent nos propos en q’eqchi’. C’est l’occasion d’apprendre quelques mots : « matiox [merci] », « us » [de rien], « ust man » [bonjour à l’attention d’une femme]… L’un des deux fils, William-Alexander, nous demande avec beaucoup d’intérêt quelles langues nous parlons, fier de pouvoir converser avec nous en espagnol. Il excuse ses parents qui ne comprennent que le q’eqchi’. « Ils ne sont pas allés à l’école », justifie-t-il. « Ma grand-mère non plus ne parlait pas bien français, je lui réponds, pour la même raison ». S’il pouvait comprendre que, oui, je parle français, anglais, allemand, espagnol mais, au fond, le breton me manque. C’est la langue de mes grands-parents maternels, de nombre de souvenirs d’enfance, de mes propres enfants à l’école Diwan. J’ai envie de crier : « Ne changez rien ! Gardez votre identité, gardez tout ! ». Comment conserver sa langue, sa culture, ses traditions tout en se sentant appartenir, au même titre que tout terrien, au monde d’aujourd’hui ?

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Une rencontre émouvante

Dehors, les enfants se sont mis à dessiner. Coline est allée chercher sa trousse, son cahier, a distribué une feuille et offert deux feutres à chaque copain. Comment les remercier de leur hospitalité ? C’est si bon d’être parmi eux, de côtoyer ces personnes paisibles, au rire facile, disponibles tout en vaquant à leurs occupations. Le jour prend fin ; il est temps de prendre congé de nos hôtes. Anna-Conception enveloppe plusieurs tortillas dans une feuille de bananier et nous les tend. Nous nous confondons en remerciement et, nostalgiques déjà, retraversons la futaie sans un mot, très émus.

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La milpa désigne l’association de trois cultures : maïs, haricot, courge. Cette agriculture vivrière est la base de l’alimentation guatémaltèque.

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Erell, prénom imprononçable pour ces collégiens, les fait beaucoup rire, ainsi que ses cheveux blonds qu’ils qualifient, en plaisantant, de paille.

 

7 réflexions sur “Chez les Mayas de la montagne

  1. Tristan dit :

    Extraordinaire, merci beaucoup de partager ces moments ! Quand je vois tout ça je me demande comment vous allez pouvoir rentrer et retourner dans une maison…

    A senlis nous avons fêté ce week-end l’anniversaire des 13 ans de Lou et Sally. La quatrième se passe bien, elles grandissent et s’affirment de plus en plus.

    Continuez à nous faire vivre par procuration vos aventures, je me délecte à chaque lecture.

    Je vous embrasse fort,
    Lionel

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  2. Réginald Dumoing dit :

    Bonjour,
    il y a quelques années de celà,en me promenant sur le quai Toudouze, j’avais photographié le port du Notic avec en arrière plan, la Tour Vauban et la chapelle de Rocamadour. Amarré tout près du quai, sur sa bouée orange, à presque pouvoir le toucher, un beau voilier se détachait, loin devant les autres bateaux, sorte de cigare en aluminium, fin et élancé. On ne voyait que lui :-)… Le ciel était bleu avec quelques nuages blancs pommelés. Cette photo m’avait tellement plue, mélange de paix, de calme, de sérénité immuable et en même temps d’invitation au voyage et d’ouverture sur le grand large, que je l’avais mise en fond d’écran sur mon ordinateur. Elle y est toujours. Et puis un jour, le beau cigare en aluminium a disparu… Il avait largué les amarres, Il était parti. Où? je l’ignorais… Beaucoup plus tard, j’ai appris fortuitement qu’il s’agissait de votre Banalec…. Alors je me suis inscrit sur votre blog et depuis, ie suis avec intérêt vos aventures américaines et je revois votre beau bateau, au gré de ses mouillages et de vos belles rencontres humaines, colorées et chatoyantes … Parfois je le regarde ancré dans le port du Notic… Que de chemins parcourus et d’aventures vécues !. Merci pour tout ça.
    / Réginald

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  3. Joel Tristan dit :

    Émouvant ton reportage. J’ai ressenti la même chose quand j’étais en Birmanie dans un village qui n’avait jamais vu de blanc: tout était rire et générosité…

    Envoyé de mon iPhone

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  4. Séverine &Co dit :

    C’est trop bon de vous lire…
    on voyage avec vous, les ruines de Copan nous y sommes allés en 2000 ! Ca fait trop bizarre de vous savoir là-bas ! quelle beauté que cette planète… on vous embrasse très fort et même si on ne se manifeste pas beaucoup, sachez qu’on suit chacune de vos épopées ! hasta la vista !!
    kenavo ar c’hentañ ….Beaj vat!

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