Installée depuis plus d’un mois au Guatemala, notre petite famille française fait désormais partie des habitants du rio Dulce. Aussi Erell a-t-elle eu la grande joie d’être invitée à l’anniversaire d’un élève de sa classe. Mais le roi de la fête n’est pas celui qu’on croit : Monsieur sucre trône en maintes occasions !
Au bout du chantier naval de San Felipe, une paillotte en bois décorée à l’effigie de Spider Man s’avance sur le fleuve. Arrivés en avance pour les 5 ans de Fabian, nous aidons aux derniers préparatifs. Deux pinatas, grandes poupées en papier, attendent qu’on leur remplisse le corps de friandises. La maman de Fabian ouvre un sac de sucettes de 5 kg. Puis, un autre de 2 kg chargé de bonbons dans leur emballage individuel ; enfin viennent les capsules de gelée. Ces gels aromatisés pourraient s’appeler des « expressucres » : fondant sous la langue, on en goberait des dizaines sans s’y méprendre.
Pluie de friandises
Les pinatas sont hissées au bastingage d’un bateau et, tour à tour, les enfants les frappent d’un bâton afin de les éventrer. Au moment où elles déversent leur pluie de friandises, une quarantaine de mains se ruent dessous. Chacun fait le plein muni de pochon en plastique. Revenus de leur cavalcade, les invités se rassemblent autour du prodigieux gâteau bleu et rouge sur lequel figure le portrait de Fabian. On nous sert une part ainsi que des tortillas nappées de tomates, fromage, et des petits sandwichs au thon. Le tout arrosé de jus de groseille-pays, appelé « Jamaïca », bien frais. Je partage ce moment avec beaucoup de plaisir, tentant de suivre les conversations en espagnol.
Petiots aux dents d’argent
Un bébé de quelques mois léchouille une sucette à la grenadine, la tournant dans tous les sens entre ses menottes malhabiles. Au moment où une fillette de 6 ans entame la conversation, son sourire dévoile des dents de couleur gris métallisé. Je suis perplexe. Dans les rues de Fronteras, comme à la sortie de l’école, je vois régulièrement de jeunes enfants avec une dentition argentée. On leur pose des couronnes sur des dents de lait ? Et oui ! Profitant d’un rendez-vous chez la dentiste de Moralès (moi, je mange des glaces en cachette !), je l’interroge sur ce point : « Chez les jeunes enfants, on remplace les dents cariées par des couronnes en acier inoxydable ; cela coûte 5 fois moins cher que le matériel utilisé pour les adultes ». Les bambins de conditions plus modestes ont, parfois, des dents de lait carrément pourries, voire réduites à l’état de chicots. Le manque de fluor dans l’eau serait, en partie, responsable de cette dégradation. La majorité des habitants du rio Dulce prélèvent l’eau du fleuve qu’ils filtrent avec une sorte de pot en terre-carbone afin de la rendre potable. A la marina, l’eau des pontons provient d’un puits. « L’abus de sucreries tout comme un mauvais brossage sont responsables de ces dégâts, ajoute Sonia Olavarrueth de Diaz. L’addiction au sucre commence dès le plus jeune âge ; nombre de parents sucre le lait infantile pour encourager le bébé à boire son biberon. »
Le bonbon consolateur
Au moment d’inscrire nos filles à l’école, j’ai été bien aise de voir figurer sur la liste des fournitures « brosse à dent et dentifrice ». Ca faisait très sérieux ; j’ai vite compris que c’était juste indispensable. L’établissement vend des confiseries pour un quetzal (10 centimes). Comme nos filles partent sans argent, je m’étonnais de les voir descendre du bus en tirant une langue tour à tour bleue ou rose, un bâtonnet à la bouche. « On a eu une sucette au dessert ! » Et, preuve de leur bonne intégration, elles se voient également offrir des bonbons que les copains bien achalandés partagent volontiers. Même la maîtresse recourt à une petite sucrerie en cas de gros chagrin. Diable, l’expérience scolaire va nous coûter bonbon en soins dentaires ! Le plus discrètement possible, j’invite à la modération ; à 9 ans, Coline est réceptive, elle comprend, elle s’organise : « après la sucette, j’ai bu un grand verre d’eau pour me rincer la bouche ». Qu’en est-il des maternelles ? Peut-on imaginer un bambin de 4 ans refuser une confiserie ?

Une petite sucette avant de prendre le car…
Quant aux adultes, sont-ils aussi accros au sucre ? On peut se poser la question. A la banque, Jean-Marie a fait une drôle de tête quand la guichetière lui a offert, en guise de bienvenue, une sucette. Comme l’opération bancaire qu’il souhaitait réaliser n’était pas possible, il ronchonnait dans son coin en bon Français. Prise de pitié, une caissière l’a hélé pour lui donner… une autre sucette ! « Quand j’accueille un nouveau patient, la première question que je lui pose, c’est de savoir s’il est diabétique, raconte la dentiste de Moralès. C’est hélas assez commun ».
Société Coca-Cola
En ville, la moindre échoppe dispose d’un distributeur de boissons : Sprite, Fanta, Coca-Cola… comment ne pas craquer devant tous ces mirages quand le thermomètre grimpe jusqu’à 35 degrés ? Reprenons nos esprits…, le plus désaltérant, c’est l’eau, non ? Or, pour la même contenance, l’eau coûte deux fois plus chère que n’importe quel soda ! Sur Balanec, on fabrique des bulles avec une machine à soda (SodaStream). Comme on a la main légère sur le sirop, on boit sans scrupule ces boissons pétillantes.
Dans les bars, les restaurants, la carte propose pourtant des jus de fruits très rafraichissants : ananas, papaye, pastèque, tamarin, melon, des milk-shakes ou encore une sorte de lait de riz. J’ai même goûté un cocktail étonnant chocolat-avocat. Des marchands ambulants servent aussi des verres de glace pilée nappée, de façon équilibrée, de sirop. Quand on paye, on choisit ce que l’on consomme. Mais quand c’est donné, distribué, en libre-service, on ne décide plus de rien, on s’habitue, c’est tout. Pas facile, ensuite, d’apprendre aux enfants la modération.

Jus de tamarin maison. Les fruits sont vendus écrasés, il ne reste plus qu’à les faire tremper dans de l’eau.
Bonjour Gaelle. Très bel article. C’est très intéressant (et inquiétant aussi)!
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bonjour la petite famille
assez hallucinant de voir tant de sucre là ou vous êtes quand on sait les ravages du sucre
pas facile pour vous la modération du coup
on vous embrasse bien fort tous les 4
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Surprenante cette relation au sucre …qui est devenu semble t il culturel, inhérent à leur quotidien, sans aucune limite ? Sais tu depuis combien de temps le sucre a pris cette place ? Est ce lie à un épisode de leur histoire ? Est ce pour eux un incontournable pour devenir une société de consommation ?
Bisous
Manu (Balmas)
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Le sucre vient avec les biens industriels, la société de consommation et, pour parler simple, les supermarchés. Les Mayas ont une alimentation très saine, tortilla, purée de haricots noirs, légumes, œufs, poulet, poisson (ici au Rio Dulce)… Dans les rues, il y a plein de vendeurs de pastèques, ananas, mangues coupés en tranches et disposées dans un sachet individuel. C’est pas cher et rafraîchissant. Je pense que les sucreries et les sodas, c’est le petit plus moderne accessible à toutes les bourses. À mon avis, la plupart des gens ne se doutent pas des effets néfastes. S’ils conservent leur alimentation simple et équilibrée, ces douceurs n’auront pas d’impact. Mais s’ils adoptent un mode d’alimentation à l’occidental (de supermarché), celui des Ladinos actuellement (métis indiens-espagnols), c’est à craindre que les bonbons et sodas ne viennent alourdir le bilan santé.
Si tu veux une idée de la rapidité avec lequel cela change, je peux juste te citer un exemple. Le village dans lequel nous sommes (Fronteras) était, il y a 7 ans, constitué de baraques en bois (maisons et commerces), peut-être une cinquantaine. 7 ans plus tard, il doit rester 10 baraques en bois et il s’est construit une cinquantaine de bâtiments en dur qui abritent des centaines de micro-commerces, pour l’essentiel des épiceries et des magasins d’habits. Voilà, une mini observation de ma part qui ne suis que de passage. Bises !
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