Oui, dans la région de Pinar del Rio, on fabrique l’un des meilleurs cigares du monde. Non, dans le regard d’une Française, le rêve d’une nation égalitaire semble prendre l’eau.
Commençons par un petit tour dans les plantations de tabac. La vallée de Vinales, à l’ouest de l’île, est la région de prédilection du fameux Havane (le havano). De nombreux champs à la terre ocre s’y succèdent, surplombés par des falaises couvertes de végétation appelées mogotes. Les plantations ont tout l’air de fermes équestres ; elles proposent d’ailleurs des visites à chevaux, accompagnées de cavaliers coiffés de chapeaux de cow-boy. Nous pénétrons dans l’une d’elles et découvrons l’espace de séchage : la hutte au toit de palme très haut aligne, sur des perches, des rangées de feuilles de tabac que des mains connaisseuses déplacent pour une ventilation optimale. Les feuilles ont préalablement été mises à fermenter dans un jus associant, notamment, rhum, ananas, mangue, miel… pour développer de subtils aromes. Mais, quand on nous les fait sentir, c’est, étrangement, l’odeur même de la fumée de tabac qui s’en dégage.
Roulage manuel du cigare
Plus loin, dans une construction surélevée en bois, a lieu la démonstration de fabrication du cigare. Après avoir retiré la nervure centrale de la feuille, qui concentrerait la nicotine (le cigare cubain serait-il inoffensif pour notre santé ?), on roule entre elles plusieurs feuilles à la main. Une feuille aplatie quelques jours sous presse est employée pour la finition.
Après avoir coupé le cigare à la bonne longueur, notre Cubain le trempe dans du miel : « Cela soigne les bronches, affirme-t-il. C’est ainsi que le Che soignait ses quintes d’asthmes ». Ah ! encore une médecine alternative… 95% de la récolte est propriété de l’Etat. Les 5% restants, cultivés sans engrais ni pesticides de synthèse, sont transformés sur place et vendus sur la plantation, 2 à 3 euros la pièce.
Que penser du système cubain ?
Au bout d’un mois passé dans le pays, on ressent l’ambiance de paradis-prison. Voici quelques situations vécues qui nous ont fait réfléchir.
Les Cubains n’ont pas le droit de monter à bord d’un bateau. C’est pourquoi José, notre sympathique chauffeur de taxi, restait à 5 mètres du quai alors qu’on lui proposait une bière sur Balanec. Il l’a bue en notre compagnie à l’ombre des arbres, plaisantant sur le fait que « Cuba est le pays le plus sûr au monde ! ».
Les plaisanciers n’ont pas le droit de descendre à terre à n’importe quel endroit. Sur la côte nord (1000 km !), il n’y a que trois lieux où l’on peut débarquer, rendant quasi impossible le cabotage. Certains navigateurs nous ont même rapporté qu’ils ont été rappelés à l’ordre alors qu’ils nageaient autour de leur bateau !
La surveillance est un sport national. Dans les rues, les magasins, les hôtels, les musées, les parkings… d’innombrables gardiens l’exercent avec plus ou moins de zèle, souvent pour traquer l’ennui. Au supermarché Florès, près de La Havane, l’un d’eux est posté à deux mètres des caisses, juste devant la porte de sortie. On payse ses courses, on se retourne et il faut rouvrir ses sacs tout en montrant son ticket. Les vols doivent être rarissimes.
Besoin de rien, envie de tout
Outre les nombreuses restrictions, la prison dans laquelle sont enfermés les Cubains est avant tout économique. Pour toute demande de visa, il faut poser un billet de 150 euros qui sera perdu même si la réponse est négative. Ensuite vient la visite médicale qui coûte 400 euros. Quand on sait que le salaire moyen avoisine les 30 euros, on comprend la difficulté à envisager une sortie du territoire. Certes, la population est bien traitée avec un bon niveau d’éducation, des soins médicaux gratuits et des tickets de rationnement qui distribuent l’indispensable à tous. Mais, tout est organisé et les gens ne décident pas eux-mêmes de leur vie, de leur avenir. Me vient une phrase attribuée au général de Gaulle : « mon verre est petit mais je bois dans mon verre ». Quelle est la juste frontière entre liberté individuelle et protection des personnes ? Votre avis m’intéresse !
Bonjour Gaelle
Alors là, j’ignorais que les Cubains n’ont pas le droit de monter dans un bateau. Un bateau étranger je suppose, car autrement comment iraient-ils pécher ?
La question que tu poses et que tu nous poses est plus que d’actualité (en France c’est en débat avec l’Etat d’urgence, voire avec le degré d’assistanat nécessaire). C’est un sujet de philosophie politique. De nombreux philosophe depuis les grecs (et certainement avant) se sont posés la question. Et de nombreux étudiants ont dû bosser sur ce type de sujets la semaine dernière lors du bac de philo Donc en toute humilité, sans citation aucune. Cette question revient aussi à poser l’éternel débat, entre le libéralisme et le socialisme version communiste. Et là, des économistes de tous bords s’y penchent désespérément. La formulation de l’équation à résoudre est très facile à poser : tout le monde veut vivre dans un monde de liberté et d’abondance, où les plus faibles seraient protégés et les plus forts seraient heureux de créer des richesses… pour eux et les autres. Voilà, une fois qu’on a écrit l’équation, on s’aperçoit qu’l y a déjà un hic. De plus : Qu’est-ce que le partage ? la propriété ? la liberté ? l’abondance et la richesse ? qu’est ce qu’un faible ? qu’est-ce qu’un fort ? être protégé de quoi ? Cuba tel que tu le décris me fait penser à un jardin d’enfants entouré de barrières avec les parents qui décident pour eux. Pour certains adultes, ne pas avoir à décider de sa vie, se contenter de la manne tombée du ciel (ici, du système), c’est le paradis. Pour d’autres, c’est l’enfer.
Le paradis, pour moi, est celui qu’on cherche et qu’on bâtit avec notre libre-arbitre (individuel) et notre capacité à donner de l’amour et de l’attention aux autres. Dans une société où chaque individu est considéré comme une personne unique et précieuse. Ca demande de l’abnégation sur pas mal de points qui sont des penchants naturels humains à combattre et donc toute une vie intérieure forte, et donc un chemin de spiritualité pour une recherche (= des efforts personnels) de vie harmonieuse, les uns avec les autres. Du coup,… c’est carrément un autre sujet. :).
Bref, je préfère qu’on cultive des valeurs fortes qui libèrent plutôt qu’un système qui finit par broyer les humains (et qui sera à termes corrompu par une poignée d’humains au détriment des autres, car tel est le destin de tout système : finir mal, corrompu et grippé.
Bonne replongée dans tes bouquins de philosophie. Nous avons tous dans la famille un faible pour… Montaigne 😉
Bisettes à vous 4.
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Bonjour Lyse,
Je ne serais pas étonnée que les Cubains n’aient pas le droit de monter sur toute sorte de bateaux à moins d’avoir une autorisation liée à leur profession, comme les pêcheurs.
Ta réflexion est très intéressante. Comme toi, je suis plutôt pour une obligation de moyens (donner à chacun ses chances) plutôt qu’à une obligation de résultat (que tout le monde ait la même chose). Je ne crois pas avoir emmené Les Essais sur le bateau mais mon père pourra me rafraîchir la mémoire ! Bises Gaelle
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